Détour en contrée inconnue (Pv Bone)

La soif de découverte n’avait pas quitté Mirage mais, au contraire, se renforçait fur et à mesure de son voyage. La cascade du soleil n’avait été qu’un avant-gout. Élevée depuis toujours parmi les obscurs et fidèle à son clan, elle n’avait jamais eu l’opportunité de voir par ses propres yeux le territoire adverse. Combien de fois avait-elle entendu parler du Canyon de l’oubli ou de la forêt enchantée sans toutefois jamais y mettre les pieds ?

Un soir, elle avait quitté furtivement sa tanière avec l’idée tenace d’aller explorer les moindres recoins du territoire des Lumineux. Ne dit-on pas que, s’il est important de connaitre ses amis, il l’est encore plus de connaître ses ennemis ? A cette pensée, Mirage sourit. Son voyage avait quelque chose d’excitant. Outre le plaisir qu’elle connaissait à explorer d’autres horizons, à humer de nouvelles odeurs, à découvrir d’insoupçonnés recoins, son excursion solitaire en territoire honni la ravissait profondément. Chaque jour était un nouveau défi : être silencieuse, discrète, retenir sa respiration à l’approche d’un inconnu, se déplacer face au vent pour ne pas se faire sentir, à peine plus légère qu’une ombre. Un jeu permanent.

Le paysage devenait peu à peu plat, dévoilant l’immensité du ciel. L’espace d’un instant, elle se perdit en contemplation, admirant la voûte céleste et sombre qui s’étendait au-dessus d’elle. Elle s’était toujours sentie rassurée par l’obscurité. Non pas qu’elle avait peur. Elle se flattait souvent de ne pas être sensible à la peur, considération quelque peu exagérée par son ego. L’obscurité était auréolée de mystère, qualité à laquelle elle attachait de l’importance, et avait ce don de dévoiler la beauté dans tout les paysages. Le jour lui, révélait tout, crûment, sans élégance. L’obscurité avait également cet atout de la camoufler et tout le monde sait qu’il est plus souhaitable de voir sans être vu …

Elle méditait tout en marchant, ses longues queues se balançant au gré de ses pas. Emportée par ses pensées, elle ne se rendait pas compte que les couleurs disparaissaient : les étoiles du ciel perdaient leur éclat, l’herbe devenait grise et les tons de son pelage se délavaient. Un mulot détala et Mirage revint : la stupéfaction se peignit sur ses traits. Elle, d’ordinaire calme, ne put s’empêcher d’être considérablement surprise par cette absence de couleur. Déroutée, elle tenta de revenir sur ses pas, utilisant son pouvoir, lorsqu'elle se rendit compte également, qu’il lui était impossible d’y faire appel.

«  Quelle est cette douce plaisanterie ? » s’interrogea-t-elle à haute voix, d’un ton qui n’avait rien de doux.

Elle se détendit rapidement : l’absence de couleur la masquait, bien que l’idée de ne pas pouvoir utiliser son pouvoir la contrariait. Elle avait l’impression d’avoir été amputé d’une de ses jambes, ou pire, d’une de ses queues. Elle partirait d’ici avant l’aube. Exploratrice, mais pas inconsciente. Le territoire lumineux recelait de bien des secrets qu’elle avait l’intention de percer.

Mirage avait compris deux choses très jeune : la première était qu’il ne fallait jamais être vulnérable. La deuxième tenait à ce qu’il ne fallait jamais se laisser surprendre. Elle avait toujours mis un point d’honneur à respecter ses conditions, surtout lorsqu’on vit en terrain obscur. Alors s’il y avait bien quelque chose que Mirage n’appréciait guère, c’était bien de se faire surprendre lorsqu’elle était vulnérable. Ainsi, lorsque une voix grave aux accents moqueurs s’éleva derrière elle pour lui demander si elle trouvait le paysage intéressant, elle fut tentée de répliquer qu’il l’aurait été bien plus sans sa présence pour le gâcher.

Mais deux points retinrent sa langue. D’une part un rapide coup d’œil sur le cristal qui pendait autour de son cou lui indiqua que ce n’était pas un ennemi. D’autre part, lorsqu’elle leva la tête afin de voir son mystérieux interlocuteur, elle comprit que le moment n’était pas à la provocation. Elle le détailla rapidement, ses yeux perçants jugeant et jaugeant. Le loup était de haute stature, mince, un corps puissant. Des ailes qui ressemblaient à celle des chauves-souris étaient pourvues de pointes acérées à chacune de ses extrémités et prenaient vie à la base de son encolure. Tout comme elle, il avait perdu sa couleur, à moins que son pelage fût naturellement gris et terne. Elle avait décidé de lui répondre. Mais une question la lançait. Obscur ? Exclu ? Exclu, Obscur ? Il fallait qu’elle sache, sans demander directement bien sûr.




Ses yeux autrefois pourpres se détournèrent de l’inconnu et parcoururent l’immensité de la plaine lorsqu’un point retint momentanément son attention et sa curiosité. Un vif éclat brillait, aussi fort qu’un petit soleil, très loin très loin dans l’horizon. Elle s’arracha à sa contemplation et reportant son attention sur l’inconnu, elle dit, un sourire aux lèvres :